Pourquoi je suis très réticent à me faire vacciner contre le covid

Je suis très réticent à me faire vacciner contre le covid avec les vaccins à technologie moderne (et tout cet article concerne ces nouveaux vaccins). Alors pourquoi y être réticent ?

Publié le 13 novembre 2021


Non pas à cause d’une restriction des libertés : vivre en société c’est renoncer à certaines libertés. Tout dans notre société répond à des codes, et je ne me sens pas privé de ma liberté, comme si la liberté consistait à faire ce qu’on veut, comme on veut, quand on veut.

Non pas non à cause d’un doute sur l’efficacité des vaccins : je pense que si 100 % de la population était vaccinée, et se revaccinait régulièrement, cette épidémie serait plus facilement maîtrisée.

Non pas non plus à cause d’un plan caché qui viserait à éradiquer la population : je doute qu’un tel niveau d’intelligence et de logistique mondiale soit possible ; et je ne suis pas dans la tête des gens, et comme je n’aime pas qu’on me prête des intentions particulières, j’évite d’en faire de même.

Non, je ne me ferai pas vacciner par les vaccins moderne, car j’estime que la balance bénéfice/risque n’est pas en faveur du vaccin, contrairement à ce qu’on entend clamer telle une évidence, notamment au regard de potentiels effets secondaires à long terme.

Et ma thèse est relativement simple : la Science peut calculer une balance bénéfice/risque relativement aux éléments qu’on met dans la balance, mais elle ne peut évaluer la pertinence dans l’absolu de ce qu’on met dans cette balance. La Science peut dire : « Si on met ça et ça dans la balance, que ce truc on lui met un coefficient 2 par rapport aux autres, et qu’on ajoute dans la balance cet élément avec un coefficient 0,95, alors on aboutit à ce résultat ».

Mais pourquoi mettre ceci plutôt que cela ? Pourquoi pondérer ceci ainsi plutôt que comme cela ? Je constate que ces questions nous sont confisquées, alors même qu’elles sont le cœur de la prise de décision, non pas scientifique, mais politique concernant les vaccins.

Le concept de balance repose sur une métaphore qui fait apparaitre le calcul comme naturel (la balance pèse naturellement d’un côté ou de l’autre, sans intervention de l’homme qui ne fait qu’acter objectivement et impartialement le phénomène), ce qu’il n’est absolument pas.

Mais reprenons ces questions dans l’ordre. Je vais d’abord examiner la question du risque et du bénéfice du point de la vue de la capacité à les évaluer ; puis, j’ajouterai une dimension existentielle dans la perception du risque ; enfin, j’examinerai cette question sous l’angle de l’acceptabilité de la mort.

1. De la relativité des risques et des bénéfices du point de vue sanitaire

La peur de ceux qui ne veulent pas se faire vacciner est souvent contrebalancée par l’argument du moindre risque. Il serait moins risqué de se faire vacciner que d’être malade. Cet argument est en réalité très faible, car il présuppose que l’évaluation des risques et des bénéfices est transparente. Quant aux risques, on nous rappelle qu’il y a la pharmacovigilance. Ce n’est pas parce qu’il y a un processus qui s’appelle « pharmacovigilance » qu’il est efficace, de la même manière que toute décision rendue par la Justice n’est pas forcément juste.

A. La question de la sous-estimation

Le premier problème de la pharmacovigilance est celui de la sous-estimation. De manière générale, on considère qu’il y a 10 à 100 d’effets sous-déclarés. Pourquoi cette sous-estimation ? La perte de temps ; le manque de culture de la pharmacovigilance ; le sous-financement des laboratoires de la pharmacovigilance (surtout qu’elle met des années, contrairement à l’évaluation de l’efficacité) ; la carrière scientifique avance plus en trouvant des remèdes qu’en étudiant la toxicité de molécules ; la formation continue financée par les laboratoires qui doivent arbitrer entre leur intérêt et l’intérêt général.

B. Qu’en est-il à (très) long terme ?

Et la question des effets à très long terme se pose : quid de maladies graves plus de 10 ans après ? Par définition, on n’a pas de recul sur les nouveaux vaccins. On répète sans cesse : « on sait que les effets indésirables c’est dans les 6 mois ».

Mais alors, ça peut vouloir dire qu’on aurait, par principe, une réticence à intégrer dans les effets des vaccins des maladies ou problèmes qui surviendraient des années après. Si on rejette a priori la plausibilité qu’il y ait des effets imputables au vaccin après ce délai, et a fortiori des années, comment ne pas faire l’hypothèse que ces effets, s’ils existaient, seraient minorés ou niés ?

Dès lors, la balance risque/bénéfice est faussée. Qu’une personne âgée fasse le pari du vaccin pour elle en se disant qu’entre avoir une forme grave du covid plus ou moins probable et peut-être une maladie à plus long terme, c’est son choix. Mais suis-je prêt à le faire pour moi ? Non.

C. Que cherche-t-on ?

Enfin, une autre question se pose : est-on en mesure, pour se faire une idée précise des risques, de connaître la totalité des effets secondaires graves surprenants ? Je ne vois pas comment on pourrait, par exemple, éventuellement corréler certains cancers qui apparaitraient, pour x raisons indirectement liées au vaccin, 20 ans après, sachant qu’il y a tellement d’autres facteurs qui seraient différents entre temps.

On peut aussi imaginer la possibilité d’effets secondaires qui consisteraient en des modifications de certains paramètres de santé ne paraissant pas forcément graves, mais entrainant des maladies graves plus tard. Incertitude, donc.

D. Discussion autour du bénéfice

À partir de là, comment pondérer les facteurs comme un risque non établi et le bénéfice ? Car s’agit-il juste de ne pas saturer les réanimations ou de sauver toute vie possible ? Personnellement, et politiquement, ce discours sur les vies à sauver me parait relever d’une certaine duplicité.

Si sauver des vies, ou maintenir des vies le plus longtemps possible, est la boussole de notre société, alors je m’interroge : pourquoi la prise en compte de la pénibilité du travail, avec la baisse d’espérance de vie qu’elle engendre, n’est-elle pas au centre de nos politiques en matière de travail ? Et ce n’est qu’un exemple des interrogations possibles.

Enfin, je perçois que la métaphore « la balance bénéfice/risque penche vers le bénéfice » induit une image fallacieuse. En effet, le résultat d’une balance est clair : il penche d’un côté ou de l’autre. Il suffit dont qu’il y ait « un peu plus » d’un côté que de l’autre pour que la balance penche.

Or, dans le cadre de l’éthique médicale, il ne suffit pas qu’il y ait « un peu plus » d’un côté que de l’autre pour que la décision soit prise. Ainsi, si on pouvait déterminer qu’un traitement risqué contre le covid tue presque autant que le covid, mais permet de sauver 1 personne, on pourrait dire que la balance penche en sa faveur. Pourtant, il y a peu de chance que de tels résultats fassent mettre ce traitement sur le marché.

Mais à partir de combien de personnes sauvées par rapport au à ce que tue le covid décide que le médicament vaut le coup ? 100 ? 1000 ? Rentrent en compte dans ce genre de calculs des considérations purement économiques (combien coûte un traitement, combien « vaut » une vie, combien coûte une mort ?), mais in fine, le choix de retenir tel ou tel facteur de pondération est un choix subjectif, et collectivement subjectif pourrait-on dire, et qui nécessite une discussion collective.

Mais face à ces critiques techniques, se dressent d’autres critiques plus existentielles. C’est le grand malentendu de cette histoire : la confusion d’un plan technique et d’un plan existentiel.

2. La confusion entre identité statistique et existentielle : 2 logiques en confrontation

A. On n’a qu’une seule vie

Il est souvent opposé que le risque de vaccination n’est que de X sur 1 million. Là, s’opposent deux logiques. Un mini détour philosophique s’impose.

On peut considérer l’identité sous différents angles. Par exemple, on peut distinguer l’identité statistique et l’identité existentielle. L’idée statistique consiste en une substituabilité des individus, quand l’idée existentielle est liée à une existence propre.

Par exemple, si le chômage baisse de 30 %, il importe peu à l’état que dans ces 30 % il y ait monsieur Dupont plutôt que madame Payet. Mais si je suis monsieur Dupont et que je ne suis pas dans ces 30 %, je peux éventuellement me réjouir de cette baisse, mais elle n’affecte pas mon existence directement. Et si pour que ces 30 % de chômage soient efficients, l’État m’a fait perdre à moi mon emploi (par exemple en prenant une mesure qui met au chômage 15 % des gens, mais créer 45 % de nouveaux emplois), alors, certes il y a une victoire statistique de la baisse du chômage, mais au niveau de mon existence, c’est une hausse du chômage à 100 % de ma vie.

Revenons aux vaccins. Il est certain, ou du moins je l’admets moi, que le vaccin participe à faire baisser les nombres d’infections et de cas graves. Et j’admets volontiers que le risque est très bas d’avoir un problème. Mais ce risque bas existe.

Alors on rétorque : c’est 1 sur 1 million. Sauf que c’est là une réflexion statistique : si on dispose de 1 million de vies, il est rationnel de faire le pari d’un traitement qui sauve des vies. Car on ne se préoccupe pas de savoir qui, individuellement, est sauvé ou non. On sauve globalement des vies.

Mais à l’échelle de ma vie, pardonnez l’évidence, mais : je n’ai qu’une vie. On n’est pas dans un jeu vidéo où je disposerais d’un million de vies. S’il m’arrive un problème, il est susceptible d’anéantir toute ma vie, définitivement.

Je comprends facilement que le gouvernement ne fasse pas ce calcul : lui se fiche bien de ma vie à moi, en particulier. Il est dans une démarche statistique, et c’est plus que légitime : il a la responsabilité de gérer statistiquement la santé.

Mais ma responsabilité première est de gérer la mienne, dans un contexte où l’évaluation des risques ne peut pas ne pas être hasardeuse.

Cette distinction des plans existentiels et statistiques permet de prendre cette réalité que les personnes réticentes aux vaccins vivent de manière aiguë : si 100 personnes sur 1000 ont des complications à cause du covid et seulement 10 sur 1000 ont des complications par rapport au vaccin, rien n’indique que ces 10 auraient fait partie des 100 complications du covid. Les choses seraient plus simples si les 10 complications étaient forcément toutes incluses dans les 100 complications de la maladie. Mais ce n’est pas le cas !

B. La vaccination est un choix volontaire, pas la maladie

Cette dimension existentielle est fondamentale quant au sens que nous donnons aux événements de nos vies : nous ne donnons pas sens à nos actes en nous fondant uniquement sur des calculs.

Petit détour, encore, par la philosophie morale et le fameux dilemme du tramway. Imaginons : un tramway qu’on ne peut arrêter fonce sur un groupe de 5 personnes bloquées. On ne peut pas l’arrêter, mais on peut le faire prendre une autre voie où il y a 1 personne. Mais pour l’aiguiller, c’est vous qui devez prendre la décision et actionner le levier. Certains préfèrent l’actionner, selon un principe utilitariste de maximisation du bien ; d’autres ne le préfèrent pas, car leur propre responsabilité est engagée dans l’action volontaire d’actionner l’aiguillage. Il n’y a pas de « bonne » réponse à ce dilemme, mais il permet de mettre en lumière des motivations dans certains choix.

Quel rapport avec la vaccination ? Le parallèle entre laisser faire une action sur laquelle on n’a pas de prise directe et faire une contre-action avec les conséquences positives et négatives qu’elle implique. Car se faire vacciner n’implique pas seulement de comparer statistiquement des résultats entre ce qui se passe si on le fait et si on ne le fait pas.

Une description plus juste du problème est le suivant : je dois comparer ce qui arrive si je contracte et/ou transmets la maladie sans rien faire ou si je contracte des effets secondaires en ayant fait le choix de me faire vacciner (ce qui sous-entend que si je n’avais pas fait le choix de le faire, je n’aurais pas eu ces effets secondaires). Et psychologiquement, cela change beaucoup de choses.

Mais comme le dilemme, il n’y a pas une réponse qui serait universellement acceptable, et tout dépend de la personnalité de chacun. Or, personnellement, je crois que j’aurai moins de regrets en ayant attrapé, voire transmis le covid, quitte à avoir des complications (car je me dirais que si on respecte scrupuleusement les gestes barrières, on diminue drastiquement les risques), qu’en subissant des effets indésirables graves d’un vaccin (car je me dirais que j’aurais pu ne pas faire le vaccin, et que c’est ma décision qui est le chainon le plus évident entre ma bonne santé et ma santé détériorée).

C. Des coûts subjectifs

Enfin, on nous parle toujours de bénéfice et de risque, mais jamais de coût. Or, au-delà du prix financier, il y a d’autres prix à payer qui peuvent expliquer la réticence de beaucoup face à la vaccination. J’en vois deux.

a. Philosophie de la santé

D’abord, il y a la conception de la santé. Dans Antivax (de Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud), les auteurs notent qu’une frange des personnes opposées à la vaccination a historiquement une conception de la santé très liée à la nature. En gros, pour le dire de manière grossière, certes la nature pourvoit des maladies, mais elle est aussi la plus grande pourvoyeuse de santé, soit que l’homme y ait une part interventionniste (on préfère des remèdes naturels à la chimie de synthèse), soit qu’il prône autant que possible la non-intervention (laissons le corps combattre et se renforcer).

Les détracteurs de cette vision ont beau jeu de déceler les failles de cette vision du monde et d’en déduire que la posture est inverse est plus légitime. Sans entrer ici dans les détails de cette querelle dont les pro-Nature seraient d’obsolètes vitalistes irrationnels et moyenâgeux, je note juste que pour une pro-Nature, la vaccination est un prix à payer plus cher que pour quelqu’un qui croit que la médecine allopathique est fondamentalement un bienfait.

Il y a donc à parier que pour cette personne, la vaccination crée un risque sur sa santé, et que la balance bénéfices/risques s’en trouve modifiée.

Oui, mais répondra-t-on, ce n’est pas un risque objectif. Elle ne peut pas démontrer qu’il y a un risque. Mais c’est confondre absence de preuve et preuve de l’absence. Force est de constater que de son point de vue ce risque est sérieux.

Mais sa croyance a-t-elle le droit d’orienter une décision collective ? Alors, retournons l’argument : la croyance qu’il n’y a pas de risque a-t-elle le droit d’orienter une décision collective ?

Mais ça n’est pas une croyance, rétorquent les défenseurs de l’evidence-based medecine. Sauf que considérer qu’absence de preuve et preuve de l’absence sont équivalentes est bel et bien une décision arbitraire. Sur la base de cette confusion, il est rationnel de considérer que les pro-Nature ont tort.

Mais cette confusion n’est en soi pas spécialement rationnelle. On peut y voir un acte de foi de gens tellement angoissés par l’incertitude et le doute qu’ils décident que la zone grise entre vérité et fausseté doit automatiquement basculer du côté de la fausseté. Mais c’est un choix. Une croyance. Est-elle plus légitime pour prendre une décision politique ? Qui pourrait le décréter ?

b. Le sentiment d’intégrité du corps

Le deuxième coût est le rapport à l’intégrité du corps. Le sentiment d’intégrité de son corps est plutôt subjectif. Pour certaines personnes, faire un tatouage et des piercings est un geste banal quand pour d’autres il s’agit d’un geste très engageant. En fonction de l’importance qu’on donne à ce qu’est l’intégrité de son corps, ce type de geste mutilateur ou intrusif coûte plus ou moins.

Aussi, la vaccination apparait pour beaucoup un geste qui met à mal leur intégrité physique. Et croire qu’il suffit de leur dire que cela « sauve des vies » suffit à faire changer d’avis ne comprenne pas à quel point cette intégrité peut être constitutive de l’identité de la personne. Prenons un exemple extrême pour le comprendre.

Beaucoup de personnes considèrent la vaccination comme un « viol ». Le mot parait fort à qui n’a pas ce degré de sensibilité à l’intégrité physique, mais en faisant un pas de côté, en se mettant momentanément à la place de quelqu’un qui vit son corps ainsi, on peut comprendre et trouver légitime, par exemple, et pour filer la métaphore, qu’une personne refuse de consentir à des relations sexuelles même si on la menace de la tuer. Or, rationnellement, ce choix est absurde : sans être vie, à quoi bon préserver l’intégrité, physique et morale ?

D’un point de vue rationnel, la survie biologique devrait être l’alpha et l’oméga de toute décision. Mais d’un point de vue humain, dont la rationalité n’est qu’une facette, la dignité, dont l’intégrité physique peut être une composante, peut primer sur la survie. Aussi, pour une personne chez qui le souci de l’intégrité physique est fort, la vaccination est une violence que ne peuvent se représenter ceux qui ne l’ont pas.

Mais alors, dira-t-on, peut-on sacrifier la vie de nombreuses vies sur l’autel de besoins personnels ? Je retourne l’argument : peut-on sacrifier l’intégrité physique de personnes sur l’autel du besoin que des gens ne meurent pas ? L’argument vous parait absurde et bêtement provocateur ? Pourtant, considérez ceci.

Le respect de l’intégrité physique est dans d’autres cas plus communément partagé. Si aujourd’hui on vous présentait le calcul selon lequel faire une ablation des seins de chaque femme à la puberté diminuait le risque de cancer du sein, et qu’en plus, en comparant le coût d’une telle opération avec le coût des traitements pour le cancer, la société y était gagnante économiquement, seriez-vous d’accord pour rendre obligatoire cette ablation ? Sans doute cela vous paraitrait-il rationnel, mais inacceptable.

Alors certes, contrairement aux épidémies virales, la décision de l’un ne joue pas aussi directement sur la santé de l’autre. Mais il n’empêche que c’est une décision qui joue un budget commun, et on pourrait penser que refuser cette opération, c’est provoquer un manque à gagner pour d’autres budgets liés à la santé.

3. Quelles sont les limites de l’acceptabilité de la mort ?

Le dernier point à prendre en compte dans la balance risque/bénéfice est l’acceptabilité de la mort. On reçoit comme une évidence que le but ultime est de sauver le plus de personnes. Et même en ayant comme objectif la non-saturation des hôpitaux, c’est bien de ne pas avoir à sacrifier des vies en priorisant les urgences et donc d’en sauver, qui est le but. Et là encore, c’est la confusion entre plan statistique et plan existentiel qui pose un problème.

Évidemment, du point de vue individuel, personne n’aimerait que lui et ses proches meurent du covid (de la même manière que personne n’aimerait que lui ou ses proches aient un effet secondaire grave du vaccin). Mais du point de vue statistique, que des gens meurent ne me choque pas. Cela fait partie des règles du jeu qu’à la fin on meurt, non ? Cet état de fait ne signifie pas qu’il ne soit pas légitime de repousser le grand départ le plus possible. Mais à quel prix ?

Ainsi, ce n’est pas une nouveauté scientifique que porter des masques ralentit certaines maladies contagieuses. On découvre que nos gestes barrières ont fait baisser le nombre de grippes pendant le covid. Or, la grippe tue quelques milliers de personnes chaque année. Alors, pourquoi ne pas avoir exigé ces gestes barrières les années précédentes ? Pourquoi pas un passe-sanitaire pour la grippe ? Pourquoi ne pas exiger la vaccination antigrippe pour toute la population pour sauver ces quelques milliers de personnes, et éviter le plus possible les contaminations des quelques millions de Français qui l’ont chaque année (en plus, ça coûte aux entreprises et à l’État tous les arrêts maladie qu’elle doit occasionner !) ?

Force est de constater qu’on ne l’a pas fait, et qu’on aurait peut-être sauvé des dizaines de milliers de vies. Ces vies-là valent-elles moins ? À partir de combien de morts estime-t-on qu’il faut vacciner les gens si un vaccin permet de les sauver ?

Le cas de l’acceptabilité de la mort est se ressent au niveau des vaccinations pour les maladies dites infantiles. Il est étonnant de voir comment aujourd’hui on a intégré que ces maladies sont dangereuses (ni à raison, ni à tort, d’ailleurs) alors qu’elles étaient considérées comme bénignes. Par exemple, la rougeole faisait 250 morts par an dans les années 1980 (contre 5000 vers 1910, avec 1/3 de moins de population). [Michel Georget, L’apport de la vaccination à la santé publique, éd. Dangles, p. 56]

Alors, est-ce que 250 enfants qui meurent si on ne vaccine pas massivement c’est moins acceptable que 4000 « vieux » qui meurent si on ne vaccine pas massivement ?

Tout ça pour dire que le rapport risque/bénéfice est forcément tributaire de notre perception de l’acceptabilité de la mort. Or, ce point n’est pas abordé dans les débats actuels. Si la science (au sens de science dure, de science du calcul et de la modélisation) peut calculer un rapport risque/bénéfice, elle n’a en revanche aucune légitimité pour décider du degré d’acceptabilité de la mort qui relève d’un débat de société qui fasse intervenir des questionnements d’ordre sociologique, anthropologique, psychologique…


Loin d’être assuré que je fais le bon choix en matière de vaccination, je n’ignore pas les situations dramatiquement ironiques face auxquelles je serai peut-être confronté : attraper le covid et avoir des complications ou contaminer un proche fragile ; s’apercevoir que le vaccin génère beaucoup d’effets positifs inattendus à long terme (car s’il peut y avoir des effets secondaires négatifs, pourquoi n’y en aurait-il pas de positifs ?) et ne pas pouvoir en bénéficier.

Et il est possible dans ces situations que je regrette de ne m’être pas fait vacciner. Mais j’aurais tort, car on est dans une situation d’incertitude, et une fois qu’un mal se présente, il est toujours tentant de se dire qu’on aurait dû faire l’autre choix. Pourtant, si on avait pu le faire, on l’aurait fait. Et surtout, souffrir d’un mal à cause d’une décision n’est pas l’assurance que la décision inverse n’aurait pas abouti à une situation pire.

Ainsi, une seule certitude au milieu de cette situation d’incertitude : quelle que soit la décision qu’on prend, quand un problème surgit, on est seuls face à notre nouvelle vie bouleversée. Les gens qui ont poussé à prendre telle ou telle décision ne se sentiront en rien responsables de votre cas, ils se cacheront derrière le risque statistique de toute décision. Pendant que vous pleurerez les bouleversements auxquels vous serez confronté, pendant que vous digérerez le fait que votre vie ne sera plus jamais comme avant, eux vivront leur vie sans que votre cas personnel ne les émeuve une seule seconde.

Aussi, la question n’est pas de trouver quelle est bonne décision, mais quelle est la décision dont vous pensez réussir à assumer les conséquences si elles s’avéraient néfastes.

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